La France du XIXe vue par ses contemporains
Notre-Dame de Paris, Victor Hugo (1831, Paris)
Notre-Dame de Paris bâtit le portrait de Paris à la fin du Moyen Âge, de ses lieux et de ses hommes. Victor Hugo y conte l’histoire d’Esméralda, jeune gitane dont la beauté bouleverse l’archidiacre de Notre-Dame, Claude Frollo. Ce dernier tente de l’enlever grâce à l’aide de son sonneur de cloche, un bossu dénommé Quasimodo. Sauvée par une escouade d’archers commandée par Phoebus de Châteaupers, ce dernier tombera lui aussi sous le charme de la jeune femme. Contrarié par ce rival indésirable, Claude Frollo décidera de se venger.
Plus qu’un roman aux qualités d’écriture indéniables, Notre-Dame de Paris, pour l’une des premières fois, fait d'un monument un véritable personnage principal. Alors que la cathédrale était en fin de vie et vouée à la destruction, les autorités françaises, suite au succès du roman, ont reconsidéré la question et finalement entrepris la restauration, menée à bien par Eugène Viollet-le-Duc. Ce dernier y ajoutera même la flèche si connue, qui surmonte la croisée du transept de la cathédrale !
Les Mystères de Paris, Eugène Sue (1842-1843, Journal des débats, Paris)
Les Mystères de Paris est un roman-feuilleton paru entre 1842 et 1843 dans le Journal des débats, montrant la misère à Paris à cette époque. En écho aux Misérables de Victor Hugo, Eugène Sue insuffle à son roman une brutalité sans nuance, avec des héros soit nobles, soit atrocement pauvres. Rodolphe, personnage mystérieux, se donne pour mission de rétablir une forme de justice sociale dans Paris. Il y croise travailleurs pauvres, criminels et prostituées. Le décor est celui de la ville de Paris, qui se pose comme un personnage épique, comme une capitale bâtie sur un monde souterrain violent et dévorant.
C’est sur les conseils d’un ami qu’Eugène Sue réfléchit à écrire sur le peuple parisien. Homme de bonne famille, ce n’est d’abord pas une idée qui l’emballe, jusqu’à ce qu’il descende de lui-même dans les basfonds de la capitale et assiste à une rixe, sa première source d’inspiration. Ce roman connaît un succès fulgurant au point d’amener les classes dirigeantes à regarder là où elles n’auraient jamais voulu poser les yeux et à évoquer des questions déplaisantes. Mais Sue ne fait pas que dénoncer : il réfléchit aux solutions envisageables et contribue, avec ses écrits, à faire avancer les conditions de vie du peuple dans la capitale française du XIXe siècle.
La Mare au diable, George Sand (1846, Paris)
Dès sa parution, La Mare au diable rencontre un énorme succès et reste aujourd’hui l’un des romans les plus connus de George Sand. Il fait l’objet de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma et à la télévision. L’intrigue se déroule au sein de la société paysanne du Berry au XIXe siècle, et met en scène deux protagonistes : Marie et Germain. Germain est un jeune père veuf qui cherche à se remarier pour obtenir de l’aide dans les travaux des champs et dans l’éducation de ses trois enfants. Marie est la jeune fille de la voisine de Germain, qu’il doit accompagner à pied jusqu’à son prochain lieu de travail. Sur le chemin, ils se perdent en forêt et décident de s’endormir près de la mare au diable.
Au sein de ce roman, George Sand met le doigt sur les conditions de vie paysannes du XIXe siècle. Elle débute par une réflexion sur une gravure d'Hans Holbein : Le Laboureur (1538). Elle y décrit la tristesse, le rude labeur conduisant à la mort. Mais au fur et à mesure de l’histoire, elle refuse cette image du monde paysan et entend bien évoquer avec une certaine gaieté la campagne berrichonne. Elle y exalte la nature, pratiquement comme un personnage à part entière. Là où Germain et Marie ne sont décrits que très simplement, la nature est idéalisée : « La lune se dégagea aussi des vapeurs qui la couvraient et commença à semer des diamants sur la mousse humide. Le tronc des chênes restait dans une majestueuse obscurité. »
L’Éducation sentimentale, Gustave Flaubert (1869, Paris)
Fruit de trois essais infructueux du jeune Flaubert, L’Éducation sentimentale est un roman initiatique dans lequel le lecteur suit Frédéric Moreau de ses 18 à ses 44 ans, dans sa recherche de l’amour. Ce roman comporte de nombreux éléments autobiographiques avec une large palette de personnages, tous plus passionnés les uns que les autres : l’un par l’amour, l’un par l’argent, l’autre par l’art. Mais, à l'image de l'amour silencieux et impossible entre le héros et la femme qu’il aime, le lecteur finit par constater que la recherche de l'idéal et de la félicité par chacun des individus est vaine.
L’amour est un sentiment universel qui traverse les siècles et touche les lecteurs de toutes les époques. Sans lui, L’Éducation sentimentale s’assimilerait presque à une description documentaire de la vie au XIXe siècle : l’argent et la propriété mises en avant depuis la monarchie de Juillet, le capitalisme à l’action depuis le Second Empire, la révolution rêvée depuis 1848, la place de la femme toujours en déclin, la presse douteuse… Flaubert nous plonge brillamment au cœur de ce siècle tumultueux et met la lumière sur les conditions de vie d’alors.
Au bonheur des dames, Émile Zola (1883, Paris)
Au bonheur des dames est le 6e tome de la série de romans Les Rougon-Macquart pensée et écrite par Émile Zola. À la fin des années 1860, Denise Baudu arrive à Paris avec ses frères pour y trouver du travail. Elle se fait embaucher Au bonheur des dames, un grand magasin de prêt-à-porter féminin. Elle y découvre alors le monde cruel des petites vendeuses, la précarité de l'emploi, et assiste au développement exponentiel de ce magasin et à la mort des anciens petits commerces. Denise devra s'imposer, quitte à élever la voix, pour se faire respecter dans ce Paris impartial et sans pitié, en particulier pour les femmes.
Zola y offre de nombreux points de vue alternés dans cette histoire située au début de la IIIe République et des grands travaux qui ont transformé la capitale : la pauvreté et la richesse ; les grands commerces et les petits ; le luxe et la décadence, au sein de ce grand magasin présenté comme un monstre engloutissant tout sur son passage. Au fur et à mesure du roman, Zola dépeint une Denise qui se bat pour que les conditions de travail des employés soient améliorées, en écho au contexte historique de la IIIe République, qui a laissé espérer un progrès social dont les bénéficiaires auraient dû être les petits employés.